Les idées de Pestalozzi sur la nature et le fonctionnement de l'État.

La Légitimation de l´État

Dès sa jeunesse, Pestalozzi voulait agir pour la patrie, c'est-à-dire publiquement. Et toute sa vie il s'est appliqué à comprendre la nature et la manière de fonctionner d'un État idéal. Ses pensées philosophiques et politiques s'étalent dans plusieurs de ses écrits, à commencer par l'un de ses premiers essais « Von der Freiheit meiner Vaterstadt » (« De la liberté de ma ville natale ») (1799) puis dans les « Nachforschungen » (« Mes recherches ») (1797), le « Unschuld » (« À l'innocence ») (1815) jusqu'au « Langenthaler Rede » (« Discours de Langenthal ») (1826).

Pestalozzi voyait dans l'État une institution qui était le produit logique de la nature humaine. Dans « Mes recherches » il décrit l'homme comme un être de contradictions. Il se base sur le fait que l'existence de l'homme se déploie en trois modes d'exister : un naturel, un social et – si l'homme le veut – un moral. Pour comprendre la signification de l'État il faut surtout éclairer le rapport entre le naturel et le social :

Le problème fondamental de l'homme « naturel » (c'est-à-dire : pas encore « moral ») c'est sa quête personnelle. Elle a toujours deux visages : d'un côté, elle sert à sa propre conservation et à l'augmentation du bien-être, d'un autre côté, elle pousse l'homme à entrer en conflit avec autrui. La quête personnelle le pousse également à se socialiser malgré toutes ses peines et ses contradictions, puisqu'il attend, par sa participation à des processus sociaux, une légère satisfaction de ses besoins. Mais la satisfaction collective des besoins exige l'existence de la propriété. Une fois de plus, celle-ci ne peut être garantie qu'en se basant sur le pacte de tous les individus pour ne pas toucher à la propriété d'autrui aussi longtemps que les autres la respectent aussi. Un accord de cette nature garantit a sauvegarde du corps et de la vie. Mais ce genre de pacte comprend aussi bien des droits que des devoirs : le droit de disposer de sa propriété et de jouir d'une vie en sécurité, et le devoir de s'abstenir de s'approprier le bien des autres et d'attenter à la vie d'autrui.

Selon Pestalozzi, pour l'homme social, certaines obligations représentent une exigence considérable, parce qu'elles entrent en conflit avec son égoïsme qui ne s'est pas dissipé par le simple fait de se socialiser. L'homme, conduit par l'égoïsme, réclame les droits avec le même naturel qu'il considère ses obligations comme des fardeaux. De ce fait, toute sorte de conflits restent préprogrammés. Mais ces conflits ne doivent pas, d'après les pactes mentionnés ci-dessus, être résolus par la force (comme cela se ferait dans la « condition naturelle ») mais devraient être résolus dans un cadre légal, auquel sont soumis tous les participants d'un conflit. Ainsi parvient-on à la légitimité de l'État. D'un côté, ses tâches sont purement formelles, de l'autre, elles sont définies par le contenu. D'après sa fonction formelle, l'État doit élaborer des lois et veiller à leur application, afin que les individus, en cas de conflit, n'aient pas recours à la violence personnelle et finissent par mener une bataille généralisée entre tous (comme dans la « condition naturelle pervertie »). Les contenus fondamentaux de sa législation se réfèrent à la sécurité de l'homme de son corps et de sa vie et à la protection de son patrimoine.

Le pouvoir de l'État

Comme on l'a déjà dit, la simple socialisation n'élimine pas l'égoïsme. Cette condition préalable (égoïsme non surmonté) est responsable de l'existence d'individus ou de groupes qui menacent physiquement les autres ou qui veulent s'approprier du bien d'autrui. Malheureusement, une institution responsable de la sécurité n'a, dans ce cas-ci, d'autre solution possible que de recourir à la violence. Cependant, l'État ne peut garantir la sécurité que s'il en a le pouvoir et s'il l'emploie pour que les individus ne puissent pas aspirer à la violence, ni ne puissent résoudre concrètement leurs conflits par la violence. Pestalozzi est loin de souhaiter un État faible. C'est seulement si l'État détient vraiment et indiscutablement le pouvoir, qu'il peut répondre à ce devoir fondamental qui justifie son existence.

Pouvoir et droit

Par expérience, pour Pestalozzi c'est un fait : ceux qui détiennent le pouvoir de l'État peuvent en abuser, ils s'en servent alors non point pour le bien du peuple mais pour l'opprimer et l'exploiter. D'après Pestalozzi, le pouvoir ne doit jamais être exercé de manière autoritaire mais doit toujours être soumis au droit.

Mais qu'est-ce que le droit ? Pestalozzi considère simplement qu'il ne suffit pas qu'une disposition ou loi soit édictée ou imposée de force par l'État pour qu'elle soit regardée comme « légitime ». Finalement ce n'est qu'un écrit. Il exige bien plus de la Loi : Celle-ci doit répondre à l' « esprit de justice », seulement ainsi elle sera légitime. C'est le cas lorsque le droit appliqué est en accord avec l'essence de la nature humaine et avec le but fondamental du contrat social. Une fois de plus, c'est seulement possible si le droit n'est pas considéré comme exigence de l'égoïsme, mais comme ce qui protège l'homme de tout égoïsme, comme une protection de tous. Par conséquent, Pestalozzi dans son écrit « Oui ou Non ? » (une prise de position rédigée en 1792/93 face à la Révolution française) se prononce avec ardeur contre l'opinion que le « droit » signifie faire tout ce qui n'est pas interdit. D'un autre côté, lorsqu'il parle de « droit » il se réfère seulement à des droits très limités de participation politique. Le « droit » c'est pour lui, en première ligne, la garantie légale de chaque citoyen pour le protéger contre les actes de violence arbitraire d'un pouvoir gouvernemental et contre les contraintes qui vont à l'encontre de l'essence de la nature humaine, mais aussi, contre la possibilité que d'autres citoyens puissent abuser de sa personne ou l'opprimer. Le « droit » n'est pas une fin en soi et il n'est pas dépourvu de valeur, mais c'est un moyen pour mener, une existence dans la dignité humaine.

 

Ce droit a besoin, pour son application, de pouvoir. Le pouvoir a deux facettes : S'il est lié au droit – afin que la justice, la sécurité et le bien-être du peuple règnent dans le pays – alors il est, dans les termes de Pestalozzi, « sacré », mais s'il est un instrument pour faire régner l'arbitraire, alors il est abominable et funeste. « Le pouvoir et toutes ses conséquences sont sacrés, si l'homme qui l'a en ses mains, reconnaît le droit de son espèce (c'est-à-dire de l'homme) et lui reste fidèle ». (12, 519) « Ce n'est pas le pouvoir, mais l'homme qui l'a dans ses mains, qui est coupable de la destruction de son espèce » (12, 49) Le pouvoir et le droit dépendent donc l'un de l'autre : sans le pouvoir le droit n'a pas d'effet, sans droit le pouvoir est brutal.

 

La garantie de la satisfaction des besoins

Introduire et veiller à l'observation du droit et des lois, afin que les hommes puissent se sentir en sécurité et que leur propriété reste intacte, c'est-là, d'après Pestalozzi, un devoir dont l'État doit lui-même directement s'acquitter. D'après le pédagogue, il y a, en plus, des tâches non moins importantes que l'État ne doit pas accomplir lui-même, mais il doit, cependant, créer le cadre juridique nécessaire pour qu'elles soient réalisées.

Parmi ces tâches indirectes il y a la garantie de la satisfaction des besoins. Pestalozzi ne pense pas que l'État doive décharger l'individu de la tâche de satisfaire ses propres besoins ; l'État doit seulement le lui permettre en sauvegardant la dignité humaine. L'État peut le faire d'abord en protégeant la propriété. À partir de là, l'État ne doit pas perdre de vue que la propriété dans les mains de l'individu tend toujours à s'agrandir au dépends des plus faibles en les précipitant dans la misère. C'est justement cela que Pestalozzi veut éviter : Pour lui, lorsqu'on permet à l'individu de faire usage de sa propriété grandissante en nuisant les autres citoyens ceci est une contradiction de la nature de droit social. L'État ne doit donc pas se contenter exclusivement de protéger la propriété, mais doit intervenir aussi dans le processus économique.

Pour Pestalozzi la propriété privé n'est toutefois pas à remettre en question, car autrement, l'obligation de l'individu de subvenir autant que possible à ses propres besoins et à ceux de sa famille, se perdrait. Pestalozzi contemplait ce devoir d' « autosubsistance » comme étant le fondement essentiel pour assurer la réalisation de l'homme : Il l'oblige à concentrer ses forces, à les employer et par là à les développer. Ce n'est donc pas la suppression de la propriété privée qui est nécessaire, mais plutôt une plus grande limitation de la libre disponibilité sur la propriété par rapport à la grandeur croissante. D'après l'expérience de Pestalozzi, un nombre plus ou moins grand de personnes dépendent de la propriété des grands propriétaires. Ainsi, la grande propriété doit – pour rester socialement légitime – prendre en charge ou assumer les besoins des plus faibles. L'État doit obliger les propriétaires, par une législation sage, à utiliser leur propriété pour qu'elle soit aussi avantageuse pour les plus faibles. 

Liberté dans l'État

Par la question de la « libre disponibilité des biens personnels », le problème de la « liberté » de chaque citoyen reste posé. Pour Pestalozzi, lorsqu'au au sein de l'État et de la société, un individu prétend faire, ou ne pas faire, tout ce qui alimente ses exigences égoïstes, c'est là l'expression d'une « condition naturelle corrompue » – il appelle cette liberté-là, la « liberté naturelle » - et de ce fait, elle est fondamentalement en contradiction avec la cohésion sociale. Aucun État ne peut o ne doit donner à l'individu l'entière liberté naturelle, au contraire, il se doit de la limiter, car l'individu risquerait de l'employer pour nuire manifestement autrui et la société.

La mesure de cette limitation n'est pas donnée d'emblée, mais elle dépend de chaque circonstance sociale. D'après Pestalozzi, elle correspond cependant « à l'esprit de l'art de gouverner en liberté, de ne pas compromettre la liberté humaine en dépassant ne serait-ce que d'un poil ce qu'exige la justice générale du gouvernement pour assurer la prospérité générale du peuple. » (1, 219). L'État doit donc octroyer à l'homme, dans l'état social, le plus grand espace possible de liberté et le protéger, en plus, des abus de ses concitoyens. La claire expression de cette liberté sociale c'est l'indépendance du citoyen. Pour Pestalozzi, l'image idéale du citoyen n'est donc pas celle d'une personne manipulée comme une marionnette par l'État, mais d'un être indépendant, capable et disposé à contribuer à la satisfaction de ses propres besoins et de ceux de sa famille, tout comme celle de contribuer au développement positif de la vie sociale de l'État.

Pour Pestalozzi, la liberté sociale – comprise comme un espace libre pour l'indépendance – ne peut jamais, c'est un fait, être un but en soi ; elle est toujours seulement un moyen pour atteindre une fin. Ainsi, il écrit déjà en 1799 : « Sans l'objectif final du bien-être du foyer, cette bénédiction suprême de l'humanité, il serait inconcevable qu'un peuple cherchât la liberté par la voie du sacrifice » (1, 215). La liberté, tout comme l'État, n'existe pas « en soi », mais elle doit toujours servir à l'homme à mener une vie dans la dignité. C'est pour cela qu'elle ne doit pas être comprise comme un droit à faire tout ce qui n'est pas interdit. Réclamer la liberté n'est donc pas une prétention égoïste du citoyen, mais c'est – pour le législateur et ceux qui gouvernent – une norme pour agir tout en laissant à l'individu le plus grand espace de liberté possible, non pas pour qu'il débride son égoïsme, mais au contraire, pour qu'il puisse s'y perfectionner ou « parfaire » en tant qu'être humain. 

Garantir l'éducation

Par conséquent, les prétentions d'un usage juste du pouvoir et d'un usage raisonnable de la liberté sociale ne sont que des mirages si l'homme se met à agir uniquement par égoïsme, c'est à dire : s'il ne développe pas en même temps la nature supérieure qu'il a en lui. Ceci requiert une formation, tant des gouverneurs pour être « capables de gouverner », comme des citoyens pour être « capables de liberté ». Sans cette formation, le droit devient une simple loi écrite dont profitent les plus puissants dans une société pour opprimer les plus faibles. Si l'État ne se propose pas aussi d'éduquer l'homme, il ne pourra subsister qu'en tant que forme, mais cela ne peut pas correspondre à sa véritable mission. Cependant, à ce sujet, il faut considérer que la tâche éducative n'est pas un devoir direct de l'État mais une tâche indirecte : Le succès de l'éducation repose sur l'influence morale des individus les uns sur les autres et de ce fait, il ne peut pas, sous aucun prétexte, être assuré par l'État en tant que tel. L'État peut uniquement – et le doit aussi – créer un cadre social qui favorise la formation et l'éducation. 

Les chargés du pouvoir

D'après Pestalozzi, l'État ne peut accomplir ces tâches (assurer la sécurité, protéger la propriété, garantir un espace libre pour l'indépendance du citoyen, se soucier de satisfaire justement ses besoins et son éducation) sur la base du pouvoir soumis au droit.

À ce sujet, il faut se poser une autre question : Qui doit être chargé du pouvoir ? Jusqu'à peu de temps avant la Révolution française, Pestalozzi soutenait que le pouvoir concret de gouverner ne pouvait pas être au mains du peuple, mais de personnes d'excellence et bien formées. (En ce temps-là, il n'était pas envisageable de soumettre à discussion une gouvernance partagée avec les femmes). Il comprenait littéralement le principe de « personnes d'excellence » ou « aristocrates »: C'était aux « meilleurs » de se trouver au-dessus des autres. La démocratie directe qui permettait à la majorité de prendre des décisions sur beaucoup de questions particulières, lui semblait suspecte, car il voyait bien que le peuple n'était pas « formé pour », et d'après lui, la condition à laquelle on ne pouvait absolument pas renoncer pour participer à la gouvernance d'un État et pour l'exercer, était le fait d'être « formé et éduqué ». Pestalozzi était un démocrate, certes, puisqu'il exigeait que le peuple eût la possibilité d'élire son propre gouvernement. Mais lorsque quelqu'un était désigné pour gouverner, il devait alors gouverner avec un pouvoir qui, bien que contrôlé et ancré dans le droit, devait être incontesté par tous les citoyens. Pestalozzi illustre ceci dans son livre « Léonard et Gertrude » par l'exemple du jeune Arner, personnage qui réalise avec conviction son projet de réforme.

Cependant, l'adhésion tenace de Pestalozzi à une forme d'État aristocratique n'émane absolument pas de l'intérêt de préserver les privilèges personnels des aristocrates. Cela a plutôt un rapport avec l'idée que le bien procédait toujours « d'en haut » : de Dieu il descendait vers l'homme, du père à l'enfant, du prince à ses sujets. La foi de Pestalozzi dans la démocratie n'a grandi qu'en voyant qu'il était possible, par une éducation juste, de faire éclore le « bien » qui était à l'intérieur de chaque homme formé. Pestalozzi s'était toujours bien rendu compte que le mal pouvait aussi venir « d'en haut ». À ce sujet, il écrivit en 1785 « que la vie totalement dépourvue d'obligations des autorités et des couches dominantes était la cause principale d'une vie ravagée, qui prévalait dans les couches inférieures ». (3, 97) En réalité, il avait écrit la deuxième édition de « Léonard et Gertrude » (1790/92) avec la claire intention de secouer les princes de leur sommeil et leur rappeler leurs devoirs. Pestalozzi nourrissait alors l'espoir que les nobles pourraient trouver la force d'un changement intérieur et éviter ainsi la révolution, mais il dût déchanter. Au commencement, il misa sur la France révolutionnaire, ce fut le seul Suisse à qui l'Assemblée Nationale accorda le titre de « citoyen d'honneur français ». Mais bouleversé par les horreurs des assassinats de septembre 1792, il se distancie personnellement de nouveau des idées françaises. Lorsqu'en 1798 l'ancienne Confédération s'effondre, il se range du côté des réformateurs et soutien activement les initiatives du Nouveau gouvernement helvétique.

Les expériences avec la Révolution française ont plutôt servi à raviver chez-lui ses préjugés sur la démocratie. Nous avons déjà vu auparavant qu'il justifiait la démocratie seulement combinée à des efforts très fondamentaux d'éducation. Comme désormais il voyait devant lui éclater la fureur des masses, il n'a pas réussi à voir en cela, malgré toute sa bonne volonté, l'expression d'une véritable formation ou éducation. Il écrivit ainsi en 1815 : « Je suis républicain, mais pas un républicain pour les grandes nations. Je suis un républicain pour les magnanimes communes républicaines de la ville et de la campagne. » (24A, 10) C'est dans des petites communautés – que le regard peut circonscrire – que selon lui, les citoyens peuvent vraiment s'entendre les uns avec les autres, assumer leur responsabilité et la confier aussi à ceux qui sont capables de l'assumer. Dans un petit État, les hommes peuvent se former jusqu'à parvenir à cette maturité politique nécessaire à l'accomplissement de cette tâche. Cependant, dans les grands États, Pestalozzi voyait pour l'individu le risque de perdre sa propre responsabilité en adhérant à la masse qui se constituait, et de finir ainsi manipulé par d'habiles tireurs de ficelles. Sans le mentionner explicitement, il voyait logiquement, pour les États grands, que le pouvoir de l'État devait être aux mains de l'aristocratie éclairée (formée et engagée pour le bien commun).

Existence individuelle et existence collective

La question sur la nature de l'État rappelle la question de la relation entre l'individu et la communauté. Dans son œuvre : « An die Unschuld, den Ernst und der Edelmut meines Zeitalters un mien Vaterlandes », « À l'innocence » (1815) il a consacré une grande place à cette question des trois conditions. Il s'intéresse spécialement à la relation entre la « condition sociale » et la « condition morale ». Il démontre ainsi que dans condition sociale on a recours à l' « existence collective » de l'homme ; dans la condition morale , cependant, on a recours à son « existence individuelle ».

Sous « existence collective » de l'homme, Pestalozzi comprend plusieurs choses. Premièrement : la participation concrète à des collectifs constitués par des individus (le peuple, les habitants d'un village, une association, une autorité), deuxièmement : la participation à l'aspect collectif de l'individu dans le sens des rôles à jouer (père, femme, payeur d'impôts, infirmière, électeur) et troisièmement :la participation de l'homme dans la dynamique concrète d'une masse réelle, où il risque de perdre son propre savoir et de déléguer sa responsabilité personnelle à la volonté bornée d'une masse agissant sans scrupule.

La conviction de Pestalozzi est ferme : L'essence la plus profonde de l'individualité correspondante ne s'exprime dans aucun de ces cas. Celle-ci n'a lieu que quand l' « existence individuelle » de l'homme se manifeste. Alors il n'est pas considéré dans son rôle social, mais dans sa particularité et dans les relations psychiques et mentales, uniques et originales, qu'il entretien avec les autres, le monde, Dieu et lui-même.

Dans la comparaison entre l'existence collective et l'existence individuelle il y a bien-sûr une échelle de valeurs : la première est un moyen pour atteindre le but de la deuxième. L'État existe alors pour les gens et non pas le contraire.

Cette position privilégiée de l'existence individuelle par rapport à la collective n'autorise personne à se soustraire à ses devoirs sociaux et étatiques, puisque selon Pestalozzi l'homme ne doit pas prétendre à la pure moralité, c'est-à-dire : à réaliser exclusivement son existence individuelle. L'existence collective n'est pas une part de son être dont il peut se débarrasser. L'individu doit de ce fait pouvoir aussi affirmer qu'il est toujours vu et pris en considération par l'État et la société comme être collectif. En plus, l'homme qui recherche sa moralité est également en mesure d'élever en lui-même chacune de ses obligations collectives à l'échelle morale, puisqu'il est capable de reconnaître leur importance et leur nécessité pour le bien de la communauté, et il y contribue – par son effort et en renonçant à des avantages personnels - à une cause sociale.

La différence entre l'existence collective et l'existence individuelle de l'homme pose à la politique la question de quels domaines l'État doit traiter du point de vue de l'existence collective, et quels sont ceux qu'il doit traiter du point de vue de l'existence individuelle. Selon Pestalozzi, d'un côté, l'État n'est absolument pas en mesure de garantir l'égalité de conditions face à la loi tout en considérant chaque homme comme un être unique. Il n'a pas d'autre choix que de le considérer dans les domaines d'ordre publique, de la loi, des finances et de l'armée. Mais d'un autre côté, selon Pestalozzi, il y a des domaines qui doivent d'abord être considérés puis traités comme une affaire de l'existence individuelle de l'homme. Il mentionne explicitement la religion, l'éducation, la formation tout comme l'assistance aux pauvres. Dans ces domaines-là, ce n'est pas le perfectionnement des choses et des systèmes dont il s'agit, mais de la propre prévoyance et du développement de l'homme. Ici, l'État ne peut pas agir lui-même, mais peut seulement favoriser, ce à quoi l'individu aspire, par une législation qui encourage l'initiative propre, la responsabilité individuelle et la moralité de chaque personne.