Les années au Neuhof

Comme tous les autres membres du cercle zurichois des Patriotes, Pestalozzi était littéralement épris de l'idéal rousseauiste visant une vie naturelle, vertueuse et libre. La vie du citadin lui semblait dénaturée, malsaine et artificielle ; le paysan, au contraire, vivait  simple, vigoureusement et en lien très étroit avec la nature. Cette vision des choses s'alliait à la nécessité d'aider réellement les pauvres à la campagne. Pour cela, le jeune de vingt et un ans interrompt précocement ses études et opte pour devenir paysan. Il entre en apprentissage auprès de Johann Rudolf Tschiffeli [1] et apprend l'agriculture et l'horticulture, à cultiver et à prendre soin de nouvelles plantes, à conserver les céréales et les fruits, à nourrir le sol à l'aide d'engrais et au moyen de nouvelles méthodes, à faire toutes les opérations économiques nécessaires et à savoir s'y prendre avec les vendeurs et les acheteurs – en bref : les fondements pour une exploitation agricole moderne [2].

Si Pestalozzi, déjà à 21 ans, cherchait à avoir une occupation pratique prometteuse et rentable économiquement, celui-ci avait - mis à part l'exaltation en vogue pour la vie paysanne et le besoin de venir en aide, par le bon exemple, à la population paysanne - une raison plus profonde et solide : Il était amoureux d'Anna Schulthess, il voulait l'épouser et cherchait un moyen de subvenir correctement aux besoins de sa future famille. Et pour un citoyen de la ville de Zurich, cela signifiait à l'époque : Soit qu'il entrât au service de l'Etat ou qu'il devînt entrepreneur. Comme le jeune Pestalozzi, par sa participation aux actions rebelles des Patriotes zuricois, avait compromis ses chances pour la première des options, il savait qu'il ne lui restait plus qu'à chercher sa chance comme entrepreneur. En réalité, sa vie durant, Pestalozzi s'est considéré et senti comme étant un entrepreneur.

En septembre 1767 Pestalozzi débute son apprentissage d'agriculteur auprès de Tschiffeli dans le Kirchberg bernois. En fin de compte, cette formation ne sera pas bien longue, elle durera à peine neuf mois. Comme le prouvent plusieurs de ses lettres (à Anna Schulthess), il considérait son apprentissage comme étant la préparation à une occupation visant le bien du peuple et affirmait que son entreprise agricole devait contribuer « au bonheur de son prochain » (1, p.241). À ses yeux, ses actions futures en faveur des autres, planaient comme des visions idylliques. Il va s'avérer pourtant, que ses actions charitables ne seront pas adoucies par la joie, mais seront vécues dans la douleur, le renoncement et la déception.

Une fois de retour du Kirchberg, Pestalozzi fait l'acquisition, à 25 kilomètres de Zurich, dans le petit village de Birr où il est enterré – de plus de 20 ha d'une terre agricole et de pâturages productifs, considérés comme pouvant nourrir plus de 50 paysans. Il y bâtit, en dehors du village, un nouveau bâtiment, le « Neuhof ». Il sera désormais sa résidence, et le restera même lorsque plus tard il travaillera ailleurs. Il y habitera et l'administrera jusqu'en 1798 et il y reviendra plus tard en 1835, lorsqu'il devra fermer son institut pédagogique d'Yverdon. Pendant son absence, le Neuhof sera géré par son fils unique, qui mourra en 1801 à 31 ans, puis par le deuxième mari de sa bru et finalement par Gottlieb, l'unique petit-fils de Pestalozzi. Aujourd'hui, le Neuhof est un centre éducatif et de formation pour jeunes en difficulté.

Dans le sillon de pensée des Physiocrates, Pestalozzi croyait pouvoir enrichir le sol par une nouvelle méthode utilisant des engrais et par l'introduction de l'esparcette ou sainfoin, une nouvelle plante fourragère, ainsi que de la garance pour la teinture rouge extraite de ses racines. Il pouvait financer son projet, d'abord, grâce à l'héritage de son père, mort prématurément, puis par un prêt de son oncle maternel et finalement grâce à l'acompte d'une banque qui appartenait à un parent éloigné de sa femme.

Dès le commencement nombre de difficultés s'amoncèlent et contribuent à donner le coup de grâce à l'entreprise de Pestalozzi : cela débute par la confiance qu'il porte à l'aubergiste et boucher de Birr, un tel Heinrich Märki [3], homme sans scrupule et spéculateur de piètre réputation, qui n'hésitait pas à tirer profit de ses clients. Puis, le jeune entrepreneur manque de conseils paternels : son propre père était mort depuis longtemps, et la famille d'Anna, qui – par ses succès et son expérience aurait pu lui venir en aide – le laisse tomber. Il faut signaler toutefois que Pestalozzi n'était pas non plus le type de personne qui se laissait facilement conseiller pour les projets qu'il avait conçus. Quant à Anna, elle n'avait aucune notion de comment gérer un ménage économiquement, et le rapport avec le voisinage ne correspondait définitivement pas à l'idéal rêvé [4] par Pestalozzi et dont il faisait part dans une lettre à sa future femme. La vie dans le Neuhof était loin d'être un « délice indescriptible », puisque ses voisins étaient remplis de suspicion et méfiance et s'acharnaient à paver son chemin d'embûches sans fin. Le bétail foulait ses fragiles plantations car autrefois, la rotation triennale des cultures permettait aux paysans de faire brouter le bétail une année sur trois, sur les terres en jachère. Réclamant leur droit coutumier, les paysans ne voulaient pas comprendre que ces terres étaient désormais plantées de garance et que celle-ci avait besoin de quatre années complètes pour que ses racines arrivent à maturité. Pestalozzi essaya d'abord de les raisonner à l'amiable puis il érigea des clôtures, et lorsque celles-ci furent arrachées, il dût faire appel à la justice pour finalement obtenir gain de cause. Mais entre temps il avait perdu la bonne entente avec ses voisins. Ceux-ci le discréditèrent face à son bailleur de fonds et même son valet de ferme décria les chances de succès de son entreprise agricole face au banquier de Zurich. Le 12 août 1770, ce dernier déclara l'entreprise en faillite et retira aussitôt son prêt, avant même que Pestalozzi ait pu faire sa première récolte et avant même qu'on ait pu ériger la charpente du toit de sa nouvelle demeure.

Le sol ne semblait vraiment pas adéquat à la plantation de garance, et les mauvaises années de 1771 et 1772, qui plongèrent l'Europe entière dans la famine, contribuèrent à la perte de ce qui aurait pu encore être récolté au Neuhof. Pestalozzi essaya de se sauver par l'élevage de bétail mais il lui manquait pour cela des connaissances approfondies. Les dettes s'accumulèrent de plus en plus et en 1774, le jeune paysan se trouva confronté à la ruine. Il vendit son bétail, donna à bail une bonne partie de ses terres à d'autres paysans et resta malgré tout endetté jusqu'au cou. C'est la famille d'Anna qui s'acquitta de ses dettes, augmentant ainsi la déjà grande mésestime de ses beau-parents à son égard.

Les années au Neuhof

1769-1798

Pestalozzi et la révolution

L'attaque du peuple à un dépôt d'armes et les révoltes populaires qui s'en suivent marquent l'effondrement de l'absolutisme en France, alors que Pestalozzi s'efforce encore de sauver « l'absolutisme absolu » à travers ses œuvres et cherche à décrocher un poste au service d'un gouvernement progressiste (p. ex. auprès de l'Empereur autrichien à Vienne). On peut alors trouver surprenant – vu du dehors – que le 26 août 1792, il soit le seul Helvète à être nommé, en France, citoyen d'honneur par l'Assemblée nationale française, avec seize autres personnalités européennes. De nombreux objectifs de la Révolution française coïncident avec les idéaux de Pestalozzi, comme ses vues sur la liberté commerciale et industrielle, la liberté de la presse et de religion, l'abolition des redevances injustes, la loi des impôts et l'amélioration de l'éducation du peuple. Cependant, il y a aussi des divergences évidentes : Pestalozzi n'attache pas d'importance à l'idéal d'égalité extérieure, et il ne communie pas avec le libertinage à outrance, fort en vogue, qui s'écarte totalement de son idée de liberté.

 

La rupture des relations de Pestalozzi avec Vienne et le fait d'être nommé citoyen français d'honneur, qui ont lieu presque en même temps, ont peut-être contribué à son propre renoncement à l'aristocratie, augmentant son penchant pour une pensée démocratique et sa sympathie pour la France. Son opinion sur les événements en France et sur la question de savoir si la Révolution est souhaitable ou non, reste toujours nuancée : D'un côté, il soutient les révolutionnaires dans leur cause mais par ailleurs, il condamne les effusions de sang visant à établir le nouvel ordre. La période de la Terreur entre 1792 et 1794, lui cause un profond effroi et une grande aversion.

Le titre obtenu de « Citoyen d'honneur français » lui donne l'occasion d'exposer par écrit ses positions sur la Révolution. C'est ainsi que naît son passionnant écrit révolutionnaire : « Oui ou Non » (« Ja oder Nein »), qu'il ne parvient pas à faire imprimer. Dans ses écrits, Pestalozzi se déclare « en faveur du peuple » (10, p. 142). Cela ne l'empêche tout de même pas de juger de manière bien nuancée les objectifs et les manifestations de la Révolution. D'un côté, il défend par principe les idées de la Révolution, mais il est, par ailleurs, horrifié par la soif de sang des révolutionnaires et il condamne clairement leurs excès et leur violence – même s'il peut les comprendre et qu'il reconnaît que tout cela est inévitable. Mais il condamne avec plus de fermeté encore, le despotisme et l'absolutisme de l'aristocratie européenne – spécialement l'absolutisme français – qu'il considère comme étant la cause véritable de la Révolution et des atrocités qui l'accompagnent. Louis XVI est le principal responsable de la misère du peuple et de l'épanchement de sang, car sous son long régime il a éliminé arbitrairement les droits et par là, il a détruit l'équilibre entre les classes, faisant d'elles des égales en méchanceté. Aux détracteurs de la Révolution, qui s'indignent de son idéologie égalitaire, Pestalozzi leur répond que les révolutionnaires ne font rien d'autre que de parachever ce que l'absolutisme a instauré.

Les idées de la Révolution française viennent planer sur la Suisse et animent les couches opprimées à réclamer leurs droits. Ainsi, à Stäfa, un village sous la domination de la ville de Zurich, l'industrie textile naissante enrichit de nombreux habitants qui, cependant, ne jouissent d'aucun droit politique. Ils les réclament alors dans un manifeste formulé avec bien de modération et soumission. Tout d'abord, ils demandent une Constitution capable de garantir les droits politiques, non seulement aux citoyens des villes, mais aussi à ceux des campagnes. Ensuite, ils réclament la liberté de commerce et d'industrie, et le droit pour les populations rurales à fréquenter les écoles supérieures, afin d'accéder à un poste de maître ou paroissien, mais aussi pour avoir le droit de grader à l'armée, tout comme les habitants de la ville. Ils exigent également un système d'impôts juste, parce que seulement les paysans – sans doute une réminiscence féodale - sont contraints à payer toute sorte de redevances oppressantes, alors que les commerçants, les industriels et les habitants des villes en sont exempts. Finalement ils rappellent au gouvernement les anciens droits et les libertés des mairies que la ville leur avait volés et déniés.

La ville réagit fortement à cet manifeste : Arrestations et sentences d'éviction du territoire sont proclamées. Face à cela, Pestalozzi se fait le défenseur du peuple en rédigeant ses idées dans trois écrits qu'il veut présenter à des citoyens très influents. Dans un document publique il exige de la compréhension pour les deux parties opposées, sans cacher cependant que son cœur penche pour la population rurale. Il s'adresse au gouvernement en ces termes :

 

« La véritable vertu du citoyen se trouve si éloignée de l'esprit aveugle de l'esclavage comme de l'esprit brutal de la révolte, et la patrie peut périr aussi bien par la vilénie adulée que par la colère effrénée. Le péril de l'instant est grand, mais le péril de l'avenir est infiniment supérieur. Je suis convaincu que la patrie ne peut se sauver qu'en respectant les sentiments du peuple. » (10, p. 294)

Mais avant la parution de son écrit, le 5 juillet 1795, la ville de Zurich fait envahir, par 2'000 soldats, le village de Stäfa qui n'en revient pas de sa stupeur. Il y a de sévères représailles et des menaces de sentences de mort. Pestalozzi, cependant ne cède point et supplie les deux parties de bien réfléchir. En tant que médiateur il poursuit des objectifs clairs : d'un côté, il faut que les habitants des campagnes discriminés, obtiennent finalement leurs droit, de l'autre cependant, il veut éviter toute effusion de sang – non seulement les condamnations à mort, mais également la rébellion violente des campagnes. Cependant, Pestalozzi n'est pas le seul à réclamer la modération ; son ami d'enfance, Johann Kaspar Lavater - devenu pasteur de la « Fraumünster » - appelle également à la raison. Ainsi, au moins, il n'y aura ni condamnations à mort, ni effusions de sang à déplorer. Mais les peines de prison et les lourdes amendes pèseront sur les 260 condamnés.

Entre temps, la France, décidée à exporter sa Révolution, mène des guerres contre presque tous ses voisins. Un an après les événements de Stäfa, le général Napoléon se rend célèbre par ses victoires en Italie et, quand un an plus tard, il voyage en Suisse, on fait retentir les canons et on hisse les drapeaux en son honneur et il est acclamé par de beaux discours et des chansons enflammées. Les amis de la Révolution l'encouragent à envahir la Suisse afin d'imposer de force le Nouvel Ordre.

Face à cette situation, lorsqu'à l'intérieur plane la menace d'une guerre civile et que les troupes françaises cherchent à envahir la Suisse, la politique de Pestalozzi essaye d'éviter les deux maux. Clairvoyant, il comprend cependant qu'un changement des conditions politiques en Suisse n'est pas réalisable. D'après lui, la France n'a qu'à exercer une certaine pression sur la Suisse, sans faire appel à son ingérence dans le processus de transformation. Mais il n'a pas compté sur la convoitise des Français. Même si les gouvernements de toutes les grandes villes suisses, voyant les soulèvements populaires qui se produisent partout et craignant l'intervention française, accordent dès le début février 1798, l'égalité des droits à la population rurale en leur promettant une Constitution fondée sur la liberté, l'égalité et la fraternité, les Français envahissent la Suisse, début mars, avec 15'000 hommes. Rompant la résistance, ils occupent le pays, volent les trésors publics, emportant à Paris l'or dans des tonneaux qu'ils transportent sur des charrettes tirées par des bœufs, ils pillent le pays, violent des femmes et des jeunes filles de sorte que le pasteur Lavater se voit contraint à faire la proclamation suivante :

« Que l'aristocratie soit tombée, c'est peut-être une grande chance ; c'est peut-être la réalisation des vœux de bien de nobles personnes. (…) Vous, les Français, vous venez en Suisse comme des voleurs et des tyrans, vous faites la guerre à un pays qui ne vous a jamais offensé. (…) Vous ne parliez que de libération – et ne voilà-t-il pas que vous nous opprimez de toutes les formes possibles. (…) On ne nous commandait pas de la sorte lorsque nous étions – selon vos fausses représentations – des esclaves, et nous n'étions pas contraints à obéir aussi aveuglement, comme maintenant que nous sommes – selon votre fausses représentations – libres. » 

La France transforme la confédération des États de l'ancienne Confédération, caractérisée par sa plus grande diversité, en un État unitaire et centralisé appelé « République Helvétique » et le divise arbitrairement en cantons et districts qui, cependant, n'ont plus aucune autonomie et ne peuvent qu'exécuter ce que le Grand Conseil (pouvoir législatif) et le Directoire (pouvoir exécutif) décident. Par conséquent, la plupart des Suisses haïssent la nouvelle Constitution, même si elle veille à l'égalité des droits de tous les citoyens, à la liberté de religion, de conscience, de presse, du commerce et de l'industrie, tout comme au droit à la formation d'associations, à présenter des pétitions au gouvernement, mais aussi à l'obligation de payer des impôts et la possibilité du rachat des redevances féodales et cela, malgré le fait que dans le Directoire il y a des personnages importants ayant une véritable perspicacité et des conviction patriotiques.

Pestalozzi se résigne à ce qui est devenu inévitable et, vu que la Constitution et le Directoire promettent de réaliser la plupart des réformes qu'il exige depuis 30 ans, il se met au service du Nouvel Ordre ; cela lui est d'autant plus facile qu'il est l'ami personnel de Philipp Albrecht Stapfer, l'un des cinq directeurs. C'est ainsi qu'il assume la rédaction du « Helvetisches Volksblatt » (Journal du peuple helvétique) qui est, en somme, la voix du gouvernement helvétique. Dans son rôle de rédacteur de ce journal et de nombreuses brochures, Pestalozzi essaie d'expliquer au peuple le sens de la Révolution, tout comme les perspectives qu'elle leur ouvre, et il enjoint les nouveaux responsables de respecter leurs promesses. Cependant, il ne réussit point à éliminer cette idée si répandue concernant l'hostilité du nouveau régime envers la religion, car les attaques de révolutionnaires contre les églises et le christianisme sont bien trop évidentes, et même si la nouvelle Constitution assure la liberté de religion, elle interdit toute activité politique au clergé, et aussi bien leur enseignement que leurs prêches sont soumis au contrôle de la police. En plus, nombreux sont ceux qui ne se sentent pas libres tant que des troupes étrangères dévastent le pays et que le peuple se voit contraint à prêter serment à la nouvelle Constitution.

L'activité de Pestalozzi en tant que rédacteur n'est pas précisément une réussite car, malgré ses effort, il ne parvient pas à trouver la manière juste de s'adresser au peuple. Ses textes, trop didactiques et parfois même arrogants, sont loin de pouvoir plaire. C'est donc une aubaine, aussi bien pour son employeur que pour lui-même, lorsque fin 1789 ou début 1799, il est appelé à remplir une nouvelle tâche à Stans en tant que « père des orphelins ».

Annotation

[1] Johann Heinrich Tschiffeli (1716-1780)

Johann Heinrich Tschiffeli (1716-1780) appartenait, à Bad Schinznach, au groupe des fondateurs de la Société Helvétique et à Berne, aux fondateurs de la Société économique. À Kichberg, à proximité de Berthoud, il avait agrandi une ferme en un domaine seigneurial et il passait pour un grand expert en agriculture. Lavater intercéda auprès de Tschiffeli pour que celui-ci accepte d'enrôler Pestalozzi dans sa ferme.

[2] Agriculture moderne (Milieu du XVIIIème siècle)

L'agriculture – influencée par la pensée des Lumières et par les sciences modernes – se trouvait dans une rupture décisive : Pendant des siècles les paysans avaient pratiqué la culture de rotation triennale dans laquelle ils laissaient toujours un tiers de la surface cultivable au repos pendant un an, afin qu'elle puisse se régénérer. Par l'introduction de nouvelles plantes permettant une rotation différente et grâce à des engrais chimiques, il devenait possible de faire un meilleur usage, plus intensif, des sols et de renoncer ainsi à l'année de friche. Johann Rudolf Tschiffeli était l'un des grands promoteurs de cette nouvelle agriculture et Pestalozzi voulait suivre ses pas.

En plus de cela, l'agriculture avait connu un processus de justification philosophique : Alors que le mercantilisme, en tant que doctrine de l'absolutisme français, déclarait que les réserves de métaux précieux étaient le fondement de la prospérité populaire, les physiocrates – disciples de Rousseau – ne le voyaient pas ainsi ; d'après eux, la prospérité d'une société reposait finalement sur les produits naturels de la terre, et d'abord, sur une agriculture saine, de ce fait, on considérait que la modernisation de l'agriculture était une tâche principale de la politique économique nationale. La physiocratie combattait l'économie contrôlée par l'État (supposant un manque de liberté de commerce et d'industrie ; et un contrôle de la production par les corporations) et elle promouvait l'économie privée afin de parvenir par le « jeu libre des forces en présence » à un équilibre naturel dans le secteur de l'économie. La satisfaction optimale des besoins économiques du peuple devait être le résultat de la libre concurrence politico-économique et du libre échange international. 

[3] Heinrich Märki

Dans l'appendice du 1er tome de l'édition critique complète des oeuvres de Pestalozzi on peut lire ceci:

« Heinrich Märki, fils de Heinrich Märki de Dachsleren dans le canton de Zürich, émigré à Lupfig (paroisse de Birr) avant 1715, fut baptisé le 21 mars 1723 à l'église de Birr. Il devint boucher et se maria, à Birr, le 13 novembre 1744 avec Elsbeth Schmidli de Tahlheim (canton d'Argovie). Le registre des mariages le cite comme 'citoyen de Dachsleren' ; c'est seulement plus tard qu'il devint citoyen de Birr. Dans une lettre de 1756, adressée au Tribunal ecclésiastique suprême à Berne, le père Joh. Frölich le décrit comme un '' homme de piètre réputation et irréligieux qui est un mauvais exemple pour tout le monde à cause de sa vie et de ses mœurs infâmes et perverses '', et il se plaint que le jour de Pâques il ait eu un comportement déplacé pendant la communion et qu'il ait parlé avec irrévérence du bailli de Königsfelden, du prêtre et des juges du Tribunal ecclésiastique. La recherche des preuves pour l'inculper dura trois ans et aboutit par la condamnation de Märki par le Conseil de Berne à une année de prison dans le 'Schellewerk' à Berne, toutefois sans y être enchaîné, et à devoir s'excuser publiquement auprès de Frölich. En 1764 Märki fut soupçonné d'avoir acheté de faux témoins et fut condamné à deux jours de prison. En 1770 il rerprit la taverne de Birr et l'ayant tenue ouverte toute la nuit à certaines occasions, il reçut plusieurs amendes au cours des années qui suivirent. Il semblerait qu'il ait abandonné la taverne déjà à la fin 1777. Märki avait été l'homme de confiance de Pestalozzi pour l'achat de ses terrains, ce dernier ne perdit confiance en lui que plus tard, puisque encore au printemps 1799, en achetant des terres aux enchères publiques Pestalozzi chargea encore Märki de le faire à sa place. Mais contrairement à ce que l'on a souvent commenté, Märki ne devint jamais bailli de Königsfelden. Il décéda le 13 décembre 1784 laissant cinq filles mariées. » (PSW 1, p. 382)

Märki joue un rôle important dans la biographie de Pestalozzi puisque, de toute évidence, il lui a servi de modèle pour élaborer le personnage du bailli Hummel, rusé, méchant et corrompu, dans le roman de « Léonard et Gertrude ». Le fait que Märki eut été en prison accusé de blasphème était, à l'époque, une chose connue de tout le monde, alors il est évident que Pestalozzi s'en est servi comme modèle pour façonner son personnage de Hummel lorsque celui-ci s'empare du calice de la Sainte scène et s'adonne à des comportements impies.

[4] À propos de l'idéal d'un agriculteur bienfaiteur.

Extrait d'une lettre de Pestalozzi écrite à Kirchberg pour Anna:

« Oh, ma chère Nannette, comme nous serons heureux lorsqu'au cours de nos promenades nous n'aurons plus à craindre personne et qu'à chaque pas, un voisin connu, reconnaîtra que nous lui voulons du bien, que nous l'aimons, d'abord un homme auquel nous ayons rendu des services, puis une femme à laquelle toi, tu aies rendu visite lors d'une maladie à peine surmontée, ensuite, des enfants auxquels nous ayons offert des milliers de petites joies, puis un vieillard pauvre mais qui, cependant, ne demande pas d'aumône, mais qui nous connaît, puis des travailleurs joyeux qui nous bénissent, parce que grâce à notre travail ils ont le leur.

Mon enfant, comme la vie sera incroyablement belle sans une jalousie aveugle pour perturber les gestes plaisants et avec la joie comme seule conséquence de notre rectitude. Mon enfant, est-ce possible, ne veux-tu pas te limiter de bon gré, si des milliers, autour de nous, manquent de l'essentiel ? Oh ! Mon enfant, comment ne pourrions-nous pas nous limiter volontiers, puisque le Seigneur nous bénit et que notre bonheur temporel se renforce immédiatement. Alors, mon enfant, la joie des limitations sera pour moi d'autant plus grande. Oh ! Répandre de la grâce et de la joie, quel immense bonheur, quel enchantement ! Et devenir la bénédiction d'un pays, à partir d'une petite maison à peine visible, o ma chère, mon cœur déborde d'espoir ! Si j'étais dans tes bras, plus rien ne me manquerait ! Mon amie, la source pure me plaît tant et, en ce qui concerne le vin, il doit servir à réanimer les malades affaiblis et non pas à des banquets fastueux qui enduisent au pêché ! Non, les visiteurs doivent voir que je méprise la richesse et voir ma volonté à aider les pauvres de mon mieux. » (PSB 1, p. 348 et suivantes)